27 février 2014

Cours de Français première Bac

Vue du condamné dans Le Dernier Jour d'un Condamné de Victor Hugo




Le roman autobiographique se définit généralement comme un roman ayant emprunté la forme de l’autobiographie, la grande différence réside dans le caractère fictif du narrateur, qui ne correspond pas à un personnage réel, sauf cas particulier, mais le personnage se démarque de l’auteur et ne porte pas le même nom que lui. Il peut ressembler à l’auteur, lui emprunter certains traits, mais jamais explicitement, sur toute la longueur du texte, puisque l’ « identité assumée au niveau de l’énonciation 1  représente un caractère propre à l’autobiographie. En revanche, la « ressemblance produite au niveau de l’énoncé 2 » peut s’appliquer à tous les genres littéraires et elle est laissée à l’appréciation du lecteur et au bon gré de l’auteur.
En ce qui concerne Le Dernier Jour d’un condamné, le condamné « ne ressemble à personne », n’a pas de modèle ; le critère de ressemblance semble donc important pour le public de l’époque et en particulier pour Nodier qui déclare : « Imaginez, par exemple, un condamné dont le nom eût été crié dans les rues de Paris ; un jeune homme comme les jurés en ont vu sur les bancs de la cour d’assise, comme la loi criminelle en envoie trop souvent à la mort 3». C’est ici le manque de ressemblance avec un être réel qui est déploré, et le lecteur ayant besoin d’un point de repère, d’une marque de réel va chercher des ressemblances entre le personnage et l’auteur. Suivant le raisonnement que l’auteur s’est forcément inspiré de quelqu’un en écrivant, s’il ne s’agit pas d’une personne réelle évidente, qui pourrait être en l’occurrence un condamné dont il a beaucoup été question dans l’actualité récente, le lecteur se persuade alors que le personnage est à plus ou moins grande échelle inspiré de l’auteur lui-même. Mais le défaut de ressemblance est, dans le texte de Hugo, accentué par le manque d’informations concernant le condamné : comment pourrait-il ressembler à quelqu’un puisque aucun détail sur son crime, peu de détails sur sa vie nous sont livrés ?  ». 
Le lecteur accorde donc d’autant plus d’attention à ces détails qu’ils se caractérisent par leur rareté. Comme l’explique Philippe Lejeune, le lecteur se met à « soupçonner » l’identité qui est susceptible d’exister entre l’auteur et son personnage 4 Les lecteurs les plus exigeants se mettent alors en quête du moindre détail et tentent de l’analyser afin d’y débusquer l’auteur. Nous verrons plus précisément dans le chapitre 5 de cette étude, qui sera consacrée aux éléments autobiographiques repérables dans le roman de Hugo, les points de ressemblance les plus manifestes entre la vie du condamné et la vie de l’auteur. Or si le condamné est à ce point dépourvu de biographie, c’est peut-être justement parce qu’il est trop plein d’autobiographie. Plus ou moins consciemment, Hugo a truffé son roman d’éléments tirés de sa vie, de ses observations, de ses émotions, comme le fait remarquer Hubert Juin : « le vécu de Victor Hugo se mêle absolument à cette fantaisie 5. » On peut dire avec Michel Neyraut que l’ « on voit comme il est difficile de parler d’une autobiographie sans parler de la sienne 6.» Et d’une manière plus générale, comme le souligne Georges Gusdorf, «l’écrivain parle de lui bien entendu quand il parle d’autre chose 7».  Mais à la différence de Flaubert qui affirmait « Madame Bovary c’est moi », la plupart des écrivains refusent d’admettre ou de développer leur parenté plus ou moins proche avec le personnage qu’ils ont créé. Ils laissent donc au lecteur la responsabilité d’en décider.
Cette liberté d’interprétation est accentuée dans le roman de Hugo par les quelques lignes qui composent la première préface, comme nous l’avons vu lors d’un précédent point de notre étude. Libre alors à tout lecteur d’établir des comparaisons entre le personnage dont il a l’histoire sous les yeux et l’auteur. Ceci est d’autant plus aisé que l’auteur a un passé littéraire. En effet, le public de 1829 lira le livre qui nous occupe différemment de celui d’aujourd’hui, ou même de celui de 1885. A l’époque de la parution du  Dernier Jour du condamné, Hugo n’avait publié que deux romans, Han d’Islande et les deux versions de Bug-Jargal, quelques recueils de poésie parmi lesquels les Odes et Ballades, et Cromwell dont la préface lui assurait déjà une bonne réputation, mais il n’était pas encore la légende qu’il deviendra. Divers événements littéraires ou  politiques permettront par la suite de lire le roman autrement ; l’affaire Tapner 8, en particulier, a donné une nouvelle orientation à la lecture du texte.
Par conséquent, à défaut d’un pacte autobiographique, on rencontrerait dans le roman ce que Philippe Lejeune appelle « le pacte fantasmatique » et dont il donne la définition suivante : « Le lecteur est ainsi invité à lire les romans non seulement comme des fictionsrenvoyant à une vérité de la « nature humaine », mais aussi comme des fantasmes révélateurs d’un individu.9 » Le lecteur peut donc se baser sur des faits réels, biographiques pour axer son interprétation, pour lire ce qu’il a envie de lire dans une œuvre, faits qui se présentent parfois comme évidents, mais qui peuvent aussi être latents. Là se pose le vaste problème de  l’interprétation littéraire, et en particulier de l’interprétation basée sur la psychanalyse. Mais là n’est pas le but de cette étude. Si Le Dernier Jour d’un condamné oscille entre autobiographie et roman autobiographique, on y discerne aussi certains éléments caractéristiques de genres voisins de ces derniers.  

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